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« Où va l’Algérie ? » Entretien avec Mohamed Sifaoui.




Publié par Alexandre Perrault le 28 Février 2019

Mohamed Sifaoui traite ici de la confiscation de tout un pays par un seul clan. L’interminable fin de règne d’Abdelaziz Bouteflika ne laisse transparaître aucune perspective pouvant garantir une stabilité pour ce pays.



« Où va l’Algérie ? » Entretien avec Mohamed Sifaoui.

1) Vous venez de publier le livre « Où va l’Algérie » dans un contexte de contestation du pouvoir algérien. Quel regard portez-vous sur les récentes évolutions.  
Les manifestations étaient prévisibles. Depuis quelques années, une colère sourde est exprimée par les Algériens — surtout les jeunes — dans les gradins des stades de football, sur les réseaux sociaux, dans les cafés, lors des discussions familiales, dans les quartiers populaires, sur les lieux de travail et dans les universités. Le peuple, dans une très large majorité, rejette le pouvoir. Il n’a plus aucune confiance, non pas en Bouteflika uniquement, mais dans l’ensemble du système. Je suis cette réalité à distance et je l’ai constaté, sans être en Algérie, lors des différents entretiens que j’ai menés à Paris pour les besoins de mon livre « Où va l’Algérie ? », un travail qui a exigé de moi plus d’un an d’investigations. De plus, les dissensions sont désormais criantes au sein même du régime qui est totalement fracturé. Bouteflika, ses frères, ainsi que le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah sont honnis, y compris par des fonctionnaires, civils ou militaires, qui, pourtant, sont obligés parfois, en raison de leurs fonctions, de servir ce système quasi mafieux.


2) Si vous deviez exprimer en quelques mots le portrait que vous dressez de l’Algérie dans ces pages, que diriez-vous ?
 
Objectivement. Pour ne pas paraître excessif, je vais répondre par quelques questions afin que le lecteur puisse se faire une opinion précise sur la situation algérienne. Comment expliquer que des personnes vivant dans l’un des pays les plus riches du continent africain ne rêvent que d’exil allant parfois jusqu’à prendre le risque de s’embarquer dans des chaloupes de fortune pour atteindre, au péril de leur vie, les côtes espagnoles ou italiennes ? Qu’en déduire lorsque, chaque année, des ONG sérieuses rappellent le niveau de corruption endémique qui gangrène l’administration algérienne ? Comment expliquer que l’Algérie, près de six décennies après son indépendance, ne puisse pas ériger un système de santé compétent et efficace ? Sachant que tous les membres de la nomenklatura algérienne — soit près de 4000 personnes — se soignent à l’étranger et principalement en France. Que dire lorsque l’on constate que l’économie algérienne continue de ne rien produire et de reposer sur un désastreux « tout hydrocarbure » qui hypothèque l’avenir des Algériens ? Que dire encore lorsque l’on sait que l’Algérie importe 95 % au moins de ce qu’elle consomme ? Dépensant ainsi annuellement des sommes colossales pour acquérir parfois des produits insignifiants. Quel commentaire pourrions-nous faire devant une école algérienne sinistrée et une université qui délivre des diplômes qui ne sont reconnus nulle part. Mais enfin, sur le plan politique, comment expliquer qu’un autocrate, ne disposant d’aucune légitimité démocratique, incapable de mener à bien sa fonction, puisse à ce point être attaché au pouvoir mettant au péril le devenir de la nation.
Voilà en quelques lignes, ce que je peux dire pour dresser un portrait de cette Algérie qui souffre par la faute de ceux qui la dirigent. 
Dans mon livre, j’ai tenu, à partir d’un constat, mais surtout de confidences et d’informations collectées auprès de sources très bien informées, à étayer mon propos et à faire la démonstration que le régime est devenu dangereux pour lui-même, pour l’Algérie et pour son peuple, mais aussi pour l’ensemble de la région maghrébine et pour une partie de l’Europe. Il fallait rappeler que ce régime — comme tous les régimes arabes — entretient volontairement un antagonisme avec l’islam politique pour s’attirer le soutien des puissances occidentales et apparaître comme l’unique alternative sérieuse pouvant garantir la stabilité du pays. Et dire avec insistance que le soutien apporté à Bouteflika pourrait devenir désastreux. Il produit de la frustration, de la colère, de l’injustice et donc, il est susceptible de déstabiliser la société et l’amener à opter pour des formes radicales de contestation.


4) A quel public vous adressez-vous en priorité et quel message souhaitez-vous lui adresser pour l’inviter à lire votre livre ?
 
Ce livre s’adresse à tout public francophone, français ou maghrébin. Parce que si l’Algérie concerne en premier lieu les Algériens, les voisins maghrébins, africains et les partenaires européens sont également concernés par le sujet. C’est un livre qui pourrait également intéresser tous ceux qui ont un lien direct ou indirect avec ce pays, mais surtout les hommes d’entreprises européens (500 entreprises hors hydrocarbures sont présentes dans ce pays). Il s’agit de comprendre ce qui est en train de se jouer afin d’anticiper ce qui pourrait arriver à l’avenir. D’autant que sur le plan économique l’Algérie stabilisée par une bonne gouvernance pourrait déployer l’ensemble de son potentiel et devenir un centre de rayonnement et de prospérité pour toute la région.

5) Avez-vous d’autres projets en cours, un rendez-vous à donner à vos lecteurs ?
 
Dans l’immédiat, je vais devoir suivre l’évolution de la situation algérienne et m’impliquer pour soutenir les démocrates. Même si ma vie et mon avenir sont en France, je reste attentif à ce qui pourrait arriver de l’autre côté de la méditerranée. Je me sens donc concerné par les événements. Je veux dire et montrer ma solidarité avec le peuple algérien. Et je ne manquerai pas de lui apporter, à distance, une modeste contribution afin qu’il réalise la consécration de son ambition démocratique. Cela étant dit, j’ai contacté des amis avocats avec lesquels nous allons essayer d’entamer des poursuites en France notamment pour des biens mal-acquis si nous arrivons à collecter des preuves ou des signalements sérieux mettant en cause des caciques du régime.
S’agissant de mes prochaines publications, je traiterai d’un autre sujet d’ici la rentrée. Un livre sur une question délicate est prévu en août ou septembre prochain.  
 
« Où va l’Algérie ? »
Éditions du Cerf
 


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